Sauter le pas

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La première fois que j’ai couché avec une fille, j’ai compris ce que c’était, le sexe. C’est comme si tout ma vie, on m’avait dit : « La musique, c’est Francis Lalanne » sans jamais me parler de Beyoncé ! Evidemment que j’aime la musique si tu me fais écouter du Beyoncé.

Tahnee © Marie Rouge

Depuis quatre ans, elle déploie son premier spectacle L’autre qui traverse joyeusement les diversités de cultures, de genres, de sexualités. Elle donne à voir sur scène l’invisible : une femme métisse lesbienne. Créatrice du Comédie Love, plateau d’humour féministe et solidaire, elle est déjà engagée dans son milieu pour offrir des espaces aux moins visibles et élargir la voie aux jeunes humoristes, notamment queers et/ou racisé·e·s.

Tahnee, c’est son vrai prénom. D’origine indienne, celui-ci veut dire « rencontre avec la Beyoncé de l’humour ».

Tahnee. Je suis une femme libre. Libre d’être qui elle est, d’aimer qui elle veut, de faire ce qu’elle veut.

Spontanément, je pense à Shirley Souagnon – qui, d’ailleurs, ne se définit pas tout à fait comme femme aujourd’hui. C’est l’artiste qui m’a le plus inspirée par son humour, ses valeurs et ce qu’elle cherche à transmettre sur scène. Elle aborde des sujets à la fois très personnels mais très politiques, avec humour et dans un objectif d’échanger avec le public, d’aller vers davantage de compréhension et de lecture partagée du monde. Elle m’inspire aussi pour tout ce qu’elle entreprend dans le but de faire connaître et grandir le stand-up en France, en organisant des festivals et en ayant une vision par rapport aux personnes qu’elle choisit d’accompagner. Elle m’a beaucoup aidé dans mes débuts, en me conseillant les endroits où je pouvais jouer en tant que femme lesbienne noire abordant certains sujets. Elle est une sorte de mentor pour moi. Ces dernières années, avec le Barbès Comedy Club (aujourd’hui fermé), elle a réussi à créer un lieu d’échange, de rencontres culturelles, de création, où l’on peut travailler nos blagues dans un espace qui est fait pour cela et avec le souci du collectif.

Il y a beaucoup d’autres humoristes qui m’inspirent : Marina Rollman, Laura Domenge, Marine Baousson, etc. Ce sont des grandes sœurs de l’humour et du stand-up, qui m’ont toujours donné de bons conseils et me font extrêmement rire.

Je pense aussi à Jessie Varin, directrice de La Nouvelle Seine, la péniche où je joue actuellement mon spectacle. Elle œuvre beaucoup pour la montée en puissance des humoristes femmes à Paris et a créé un lieu avec une programmation féministe. Quand j’ai commencé l’humour, ou même quand j’allais voir les spectacles de Blanche Gardin par exemple, je rêvais toujours secrètement de jouer à cet endroit. C’est génial de se dire que ça dure et que j’ai la chance d’y être à mon tour aujourd’hui.

Il y a mille façons d’être une femme. Pour moi, être une femme aujourd’hui en France, c’est être une battante, avoir envie de liberté, pouvoir être maître de son destin et permettre à la société d’être véritablement égalitaire.

Depuis plusieurs années, les femmes dans l’humour ont avancé. Et cela ira de mieux en mieux, même si elles sont encore à la périphérie. Les hommes attendent encore des femmes qu’elles fassent leurs preuves. Il y a plus d’exigence envers elles, comme si elles devaient être tout de suite drôles et que leurs sujets soient intéressants. On doit encore se battre, ne serait-ce que pour montrer que les femmes ont de l’humour. On n’a même pas dépassé ce stéréotype. Il reste beaucoup de progrès à faire.

En tant qu’humoriste et stand-upeuse, je me suis plutôt formée sur le tas, en regardant beaucoup de stand-up, en écoutant, en allant dans les comedy clubs et en pratiquant. Je n’ai pas suivi de formation d’écriture de textes humoristiques. On oublie parfois que le métier d’humoriste comporte également une part importante d’interprétation et de jeu. Pour ce qui me concerne, je n’ai pas l’impression que cet aspect soit ma plus grande force, bien que j’aie suivi des cours de théâtre. Chez Rosa Bursztein par exemple, qui a elle aussi joué son spectacle à La Nouvelle Seine, on voit qu’elle a un bagage particulièrement solide en tant que comédienne. Ce qui est intéressant dans l’humour, c’est qu’on peut avoir des profils très différents. Un autre exemple : dans le spectacle de Laura Felpin – qui est aussi une excellente comédienne – on sent qu’il y a une très belle écriture, les textes sont agréables à écouter, peut-être moins dans la punchline et davantage dans la finesse, dans le lyrisme même, parfois, de certaines blagues. Cette diversité des profils est une grande richesse, probablement encore plus chez les humoristes femmes d’ailleurs. Certaines personnes vont être très drôles et très fortes dans l’interaction, d’autres dans le jeu, dans l’écriture, dans le clown, etc. C’est particulièrement appréciable parce que ça laisse beaucoup de liberté dans ce qu’on fait. Par moments, je me dis qu’il pourrait être intéressant de me remettre à prendre des cours – de clown ou d’improvisation par exemple – avant mon prochain spectacle. Le jeu peut naturellement améliorer la blague. Il existe de multiples facettes différentes et de paramètres sur lesquels on peut travailler. Et pas seulement pour la scène, mais dans l’humour de façon générale ! L’an dernier, j’ai commencé à faire des chroniques humoristiques pour la télévision et je me suis rendue compte qu’il s’agissait d’un exercice encore différent parce que l’adresse n’est pas la même, il faut parfois jouer avec les regards vers la caméra, c’est un autre rythme, etc. Idem pour la radio ; on ne va pas transmettre son texte de la même manière. C’est un travail diversifié, qui nous stimule par les différents formats que l’on peut rencontrer.

Ce n’est pas parce qu’on a de bonnes idées, de la répartie ou que l’on est drôle dans la vie de tous les jours qu’on peut facilement devenir humoriste. Avant tout, c’est beaucoup de travail et de persévérance. Ça ne va pas marcher du premier coup. C’est comme un sport : on s’entraîne, on passe progressivement des paliers et plus on travaille, plus on progresse. Il faut s’accrocher. Il ne faut pas s’imaginer qu’un spectacle s’écrit en deux mois et qu’il sera immédiatement très drôle. C’est un travail dans la durée, où l’on obtient des résultats à long terme. J’ai commencé à vraiment faire du stand-up en 2017 ; la version V0 de mon spectacle est né fin 2018, il y a quatre ans, et j’y travaille encore.

On a besoin d’être encore plus nombreuses parce qu’il y a plein de façons d’être femme et donc de discours à faire entendre. C’est un milieu difficile, certes, mais il y a de la sororité et on s’entraide. Si tu as vraiment envie de faire ce métier, vas-y. N’hésite pas une seconde. Les humoristes hommes sont encore les plus nombreux donc ne t’inquiète pas, tu as ta place, viens nous rejoindre et aide-nous à détruire le patriarcat (rire). À cela, j’ajouterai un conseil : quand on débute, il est précieux de faire attention aux endroits où l’on joue. On a tendance à tout accepter, surtout en tant que jeune humoriste. Or, il y a des environnements plus agréables que d’autres pour jouer. Il ne faut pas ajouter au stress des débuts le stress d’un environnement masculin ou oppressant où l’on ne se sentirait pas bien. Il ne faut pas hésiter à demander conseil auprès d’autres jeunes femmes humoristes. Et voilà, il ne reste plus qu’à sauter le pas !

Si j’étais ministre de la culture, je ferais en sorte d’améliorer l’accès à la scène et au spectacle vivant pour les femmes, par exemple en mettant en place des formations spécialement pour elles. Je forcerais les directeurs et directrices de théâtre à avoir une programmation plus féministe et plus paritaire. D’ailleurs, je demanderais à ce que les théâtres soient dirigés par plus de femmes, avec de véritables moyens pour les accompagner. La scène humoristique est encore majoritairement détenue et animée par des hommes hétéros blancs de plus de 65 ans – je n’ai rien contre les vieilles personnes (rire) mais je pense qu’il faudrait modifier cela pour avoir d’autres points de vue sur la culture et sur la société. Nous avons effectivement besoin d’espaces, de lieux de travail, de création, de répétition, c’est pourquoi je créerais des théâtres qui seraient à disposition des femmes, où elles pourraient être accompagnées et aidées dans leur création, et programmées par la suite.

Je mettrais plus de cours de théâtre à l’école. Avant le stand-up, je faisais beaucoup de théâtre d’improvisation et je trouvais que c’était un excellent outil pour prendre confiance en soi, aller à la rencontre de l’autre, créer collectivement. Chez les jeunes, ça marche bien de faire appel à son imaginaire. Aussi, pour la fille très timide que j’étais, le théâtre m’a permis d’aller à la rencontre de moi-même et de mieux me connaître.

Enfin, je serais attentive à la diversité. En tant que jeune femme métisse, je n’avais pas énormément de représentations de personnes noires dans le théâtre. C’est quelque chose qui manque. Si j’étais ministre de la culture, je donnerais davantage de forces et de moyens aux femmes noires dans le théâtre et dans la culture. Il faut les aider à créer, à présenter leurs pièces et à transmettre les cultures théâtrales afro-descendantes, africaines et caribéennes qui existent en France et qui sont encore trop méconnues.

L'autre de Tahnee m.e.s. Sibylle de Montigny
À  partir du 22 septembre 2023 à La Nouvelle Seine (Paris) puis en tournée dans toute la France
Les vendredis et samedis à 19h30
Informations et réservation ici

Tahnee
Propos recueillis par Mélina Kéloufi pour le blog des Théâtrices
Août 2023 © Mélina Kéloufi

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Femmes de théâtre – Théâtre aux femmes

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