Curieuse à l’infini

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Sarah Laurendeau © Annie Éthier
Sarah Laurendeau © Annie Éthier

Notre entrevue a lieu en novembre 2018, en pleine période des représentations parisiennes du spectacle québécois L’Avalée des avalés de Réjean Ducharme mis en scène par Lorraine Pintal, dans l’écrin du Théâtre des Déchargeurs aujourd’hui menacé de fermeture. À cette époque, elle est dans un moment de sa vie où son séjour à Paris lui offre une bulle lui permettant de reconstruire du neuf tous les jours… et de repousser ce qui l’attend à son retour à Montréal. En attendant, elle savoure les nouvelles rencontres, les nouveaux paysages, la chance de jouer devant tant de personnes et la délicieuse soupe qui vient de lui être servie.

Bien des fleuves ont coulé sous les ponts depuis notre entretien. Son parcours a continué de s’enrichir de multiples expériences. On pourra d’ailleurs la retrouver sur les planches à partir du 27 septembre au Théâtre du Rideau Vert à Montréal.

Rencontre avec la comédienne, DJ et créatrice québécoise Sarah Laurendeau.

Théâtrices. Quelle femme êtes-vous, Sarah Laurendeau ?

Sarah Laurendeau. Je sais ce que j’aime : l’authenticité, la bonne musique – Janelle Monáe, Miley Cyrus, Nina Simone, Feist, etc. –, la nature, les parcs, les gens qui me font rire, les enfants, l’équilibre, les différentes perspectives, les framboises – beaucoup – et la poutine (rire). Je sais ce que je n’aime pas : l’omniprésence des téléphones intelligents. Je suis l’ensemble des projets que je fais et l’ensemble de mes influences.

Parlez-moi d’une théâtrice. Quelle influence a-t-elle (eu) sur la femme et/ou l’artiste que vous êtes ?

À l’été 2014, j’ai fait partie de la production Les Voisins de Claude Meunier et Louis Saïa, mise en scène par Frédéric Blanchette au Théâtre de Rougemont. Parmi cette équipe de rêve se trouvait Isabelle Vincent qui jouait ma mère. Cette actrice est tout simplement fantastique. En plus d’être un exemple de rigueur et de justesse dans le travail, elle prend soin de son corps, fait du vélo, de la méditation, écrit, lit, se renseigne et accorde une grande importance à l’environnement. Isabelle est un réel modèle pour moi, pour tout ce qu’elle est. En plus d’entretenir une curiosité infinie pour tout, elle n’est jamais dans le jugement, peu importe la personne qui se trouve devant elle. Si je devais choisir une mentore dans ma vie, ce serait elle, sans hésiter.

Ma grande amie Nathalie Doummar est aussi un grand exemple de passion pour le métier. En plus d’être la mère de deux jeunes filles magnifiques, elle accumule les projets comme autrice et comédienne, habitée par une urgence de créer. Elle se force sans cesse à se questionner pour être une meilleure personne, autant en visant la paix intérieure que l’écoute et la compréhension des autres. Elle déborde d’idées, fonce et sait s’entourer des bonnes personnes pour leur donner vie. Son talent est aussi vaste que sa charge émotive : elle chante à merveille, écrit des bijoux et rend le tragique comme le comique avec une grande puissance.

Avoir une compagnie de théâtre, c’est exigeant. Aujourd’hui, le terme « créatrice » ne vient pas sans le terme « entrepreneure ». Être une créatrice, c’est non seulement devoir libérer sa folie mais aussi structurer sa pensée, faire des réunions de production, rédiger des demandes de subventions. C’est trouver des façons originales de gagner de l’argent pour payer quelqu’un qui t’aidera à rédiger une demande de subvention te permettant peut-être d’avoir de l’argent pour monter ton projet. C’est du travail infini pour quelque chose qui ne sera jamais lucratif. Il faut être fou pour se lancer là-dedans et encore plus fou pour s’acharner et continuer. Des filles folles que j’admire comme ça, il y en a : Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent, Catherine Chabot qui joue et écrit autant qu’elle va à la selle, Annie Darisse et Dominique Leclerc qui s’allient avec deux autres artistes que j’admire comme Rébecca Déraspe et Sophie Cadieux pour créer le bijou qu’est Gamètes, Catherine Vidal qui est aussi intelligente que drôle, et j’en passe !

Que signifie pour vous être une femme, aujourd’hui, dans la création théâtrale ?

Foncer. Avoir un bel équilibre entre ne pas trop réfléchir et avoir une démarche réfléchie. Être personnelle. Accorder une importance particulière au choix des personnes avec qui on désire créer. Pour moi, une équipe solide influe énormément sur le résultat, mais surtout sur le plaisir dans le processus.

En tant que femme, on se doit d’ouvrir notre esprit à des partenaires féminines pour occuper des rôles créatifs qu’on voit majoritairement occupés par des hommes.

Le métier d’actrice comporte plusieurs facettes (théâtre, cinéma, télévision, doublage, publicité, etc.). Qu’est-ce qui selon vous les distingue au plan de l’interprétation ?

La scène est ce que je pratique le plus depuis ma sortie du Conservatoire en 2011. Sur scène, on a énormément de contrôle sur ce qu’on fait. Même avec toutes les indications que le ou la metteur·e en scène peut nous donner, qu’elles soient très précises ou qu’elles nous laissent plus de liberté, on reste maître de ce qu’on fait. Et si on n’a pas aimé notre prestation un soir, on peut changer le lendemain. On a une grande part de création, de liberté, de possibilités de se tromper. J’aime beaucoup cela. J’aime que ce soit vivant. Ce n’est pas figé comme des photos, des publications, des vidéos sur lesquelles on travaille. C’est très proche des rapports humains.

À l’écran, on peut aussi décider de ce qu’on donne, dans une certaine mesure. Seulement, le manque de moyens et l’obligation de tourner rapidement nous empêchent d’avoir du contrôle sur ce qu’on fait. Ce qui est très différent du travail pour la scène, c’est que ça demande énormément de préparation nécessitant de répéter en solo chez soi. Personnellement, j’aime beaucoup le rapport avec les gens, la création dans l’échange, c’est ce qui me stimule, me motive. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles, naturellement, je joue davantage au théâtre. Au théâtre, on a plus de temps pour répéter, rire, créer une énergie de groupe, un échange avec nos partenaires, des vrais liens, tandis que c’est plus éphémère sur un plateau de tournage – même si c’est aussi très amusant. L’ambiance des plateaux de tournage me convient également parce que c’est expéditif, sportif. Quand on arrive en répétition pour le théâtre, on peut souvent prendre 15, 20, 30 minutes avant de commencer. Sur les plateaux, on commence tout de suite, on se met immédiatement au travail et tout le monde est sur cette même longueur d’onde parce qu’il y a énormément d’argent en jeu et de personnes impliquées. C’est de l’ordre de la performance, parce que c’est ici et maintenant : ça tourne, action.

Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à une jeune fille ou jeune femme qui veut être comédienne ?

Observe les gens autour de toi : la vérité de nos rapports humains est le meilleur exemple de justesse dans le jeu. Sois curieuse à l’infini. Voyage. Prends des cours d’improvisation, regarde des films. Va au théâtre. Demande des références de bons projets à aller voir. Tente ta chance dans une école de théâtre en trouvant un·e coach en qui tu as confiance. La formation en jeu pour un·e acteur·ice est aussi formatrice pour le métier que pour ta vie et ta connaissance de toi.

Quel lien faites-vous entre l’âge et l’image ?

Les mois suivants ma sortie de l’école de théâtre, j’ai beaucoup été appelée en audition pour jouer des rôles de jeunes filles, à cause de mon apparence. En revanche, j’ai une voix plutôt grave qui dégage une bonne maturité et on m’a dit que cela avait un impact sur mon casting à l’écran. C’est un concept qui revient beaucoup pour les actrices et les acteurs. Cela peut prendre plusieurs années à une actrice ou un acteur avant de se retrouver dans une zone où son physique correspond à l’âge que dégage son énergie. Tout cela fait partie des facteurs auxquels on fait face en tant que comédien·ne. Le talent, le professionnalisme et la volonté ne suffisent pas toujours pour décrocher un rôle.

Si j’étais ministre de la culture…

Si j’étais ministre de la culture, j’irais d’abord faire un bac en politique, puis un bac en éducation, puis un bac en d’autres choses. Je me perfectionnerais en anglais, j’irais apprendre plein de langues, j’essaierais de me rendre suffisamment compétente.

Je voudrais que les enfants aient accès gratuitement à la culture, qu’il n’y ait plus de bataille pour savoir qui – des parents ou de l’école – doit payer pour les sorties scolaires. Il ne faudrait plus que cette ambiguïté-là existe. Si j’étais ministre de la culture, je trouverais une façon pour que les enfants aient accès aux spectacles d’art vivant dès leur jeune âge, que les compagnies qui se dédient aux œuvres pour enfants soient davantage subventionnées, qu’il y ait de beaux cadres de création, qu’il y ait de l’aide à la structure, de l’aide à la tournée. Il faut que les jeunes aient accès à des œuvres, ça fait partie de leur éducation. Cela va leur créer un rapport avec l’art, les motiver à en voir plus tard, leur permettre de mieux se connaître, de sortir et de s’habituer à être ensemble pour voir des prestations, à être ensemble pour être ému·e, à être ensemble pour réfléchir. Ce serait pour moi une grande priorité, ma première bataille. J’encouragerais également la culture que l’on dit « accessible ». Avoir une culture nichée, c’est important. Mais tout le monde a le droit de se réunir ensemble, de rire, d’être ému·e, d’apprendre sur soi-même. Cela nécessite des niveaux d’art différents, qui puissent s’adresser à tout le monde. Je me battrais pour l’accessibilité à l’art.

J’irais aux différents bulletins de nouvelles de la télévision et je m’adresserais directement à la population, comme c’était le cas dans les débuts de la télévision et comme on peut le faire aujourd’hui sur les médias sociaux.  J’inviterais les gens à sortir de chez eux, à se déplacer pour vivre des moments ensemble, devant des prestations artistiques. Pour celleux chez qui ce n’est pas une habitude où un réflexe, je leur dirais ceci : « Rappelez-vous la dernière fois où vous avez été curieux·se ou la fois où on vous a amené de force à un spectacle et que vous avez finalement été surpris·e par des émotions nouvelles. On se ressource autant en rencontrant des nouvelles personnes qu’avec une nouvelle œuvre. La santé, ce n’est pas seulement une question de médecin et de sport, c’est aussi une question de santé de cœur et d’esprit. Cette semaine, surprenez-vous et faites l’effort de vous déplacer à un concert, un spectacle de théâtre, de chant, une prestation d’une culture que vous ne connaissez pas. Demandez conseil à un·e ami·e qui aime l’art et qui saura vous envoyer à un événement intéressant pour vous. »

Un reel ben beau, ben triste de Jeanne-Mance Delisle m.e.s. Marc Béland
Du 27 septembre au 28 octobre 2023 au Théâtre du Rideau Vert (Montréal)
Réservation sur place, par Internet ou au 514-844-1793

Sarah Laurendeau
Propos recueillis par Mélina Kéloufi pour le blog des Théâtrices
Août 2023 © Mélina Kéloufi

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